Hélène Cixous
L’Hospitalité ?
Jacques Derrida l’a surnommée et renommée l’hostipitalité en 1996, afin de nous rappeler aux secrets oubliés du mot et aux replis paradoxaux et amers du concept tels que la langue les recèle.
C’est que le mot latin rassemble à la fois, pas hostis, le sens d’étranger en tant qu’hôte, disons : l’invité (mais hôte en français est à la fois hôte l’accueillant, et hôte l’accueilli, et cela fait entrer toute la différence et le différend) et hostis l’étranger-ennemi public, l’ennemi du pays. Oui, il en est ainsi l’étranger signifie dans la langue : l’ennemi. Ost, en vieux français, est l’armée des ennemis. Voilà notre hôte hostilisé, notre invité, supposé bienvenu, suspect et malvenu.
A hostis s’ajoute, se mêle, se substitue hospes, celui qui reçoit et celui qui est reçu. D’emblée l’étranger, l’hôte, l’ennemi ont bien du mal à se distinguer.
Pour Kant, l’hospitalité doit être universelle, tout ce qui est homme, humain, a droit à cette hospitalité. Donc tout étranger humain.
Mais le non-humain, l’animal par exemple, est exclu. Soit. Pas de chat chez moi alors ?
Et les dieux ?
La question se pose à travers la religion ; aujourd’hui, la question du droit d’asile et de l’accueil du réfugié ou immigré s’alourdit de l’accueil du dieu. En effet, l’étranger arrive avec sa langue, sa famille peut-être, et son dieu presque toujours. Comme on le sait, cela ne va pas de soi. Cela ranime même les communautarismes et les intégrismes.
C’est ainsi que l’hospitalité universelle humaine kantienne amène à penser les difficultés politiques et ethniques de l’hospitalité concrète, actuelle.
L’hospitalité inconditionnelle voudrait accueillir sans limites, sans condition aucune ni dans le temps, ni dans le nombre, ni dans la définition. C’est le rêve. En réalité elle n’existe ni plus ni moins que la justice brillant, idéale et absolue, au-dessus du droit. L’hospitalité en réalité, et tous nous le vivons ainsi, est toujours et immédiatement conditionnelle.
Mais, comme Jacques Derrida y insistait en dépistant l’hostipitalité, on a besoin des deux hospitalités, l’inconditionnelle et la conditionnelle. Elles sont indissociables, elles s’inspirent et se retiennent l’une l’autre. A l’hospitalité conditionnelle, l’hospitalité inconditionnelle demande de tendre à toujours plus de générosité. L’hospitalité conditionnelle, elle, ménage et ce n’est pas un mal : si l’on ne donnait pas des limites, si l’on ne formulait pas les droits, l’amour idéal basculerait un jour dans l’exaspération haineuse et le rejet.
L’hospitalité doit, on le voudrait idéalement, tendre à se porter au-delà, un peu au-delà du raisonnable, du tempéré. On voudrait qu’elle brille sans fulgurance et sans calcul. Ce serait une forme de sainteté qui s’ignore, on offrirait le toit, le toi, sans appétit, avec sérénité, sans vouloir s’enorgueillir et se nourrir de sa propre bonté, sans satisfaire sa propre demande d’amitié ou de reconnaissance. Cela se ferait " naturellement ", en se situant d’emblée au-delà des intérêts du moi.
Comme une évidence. Etre hospitalier à l’être humain, comme on l’est au chat dont on n’attend pas qu’il rende le bien ou dise merci. Dans une pureté neutre.
Il y a des gens qui en sont capables.
Les Etats, par définition, non. Aujourd’hui en Europe, hospitalité, étranger, droit d’asile, immigration sont en question. Tout ayant changé, les liens de solidarité comme les causes de la haine.
Dans cet aujourd’hui, le Théâtre, comme la Philosophie, cherche à comprendre ce qui est arrivé à l’hospitalité qui venait de la Bible ou des Grecs, ce qui lui arrive, ce qui va lui arriver, ce qu’on peut vouloir élaborer dans de nouvelles attitudes éthiques et par de nouveaux dispositifs juridiques et politiques.
Mais on ne nous demande pas d’être hospitalier jusqu’à la mort. Seulement de ne pas vouloir refaire l’hôte à son image, mais plutôt de se refaire étranger comme chacun l’a été un jour ou un autre, afin de ne pas oublier que chacun a le droit d’être un autre.
(Extrait du programme du spectacle)
Jacques Derrida l’a surnommée et renommée l’hostipitalité en 1996, afin de nous rappeler aux secrets oubliés du mot et aux replis paradoxaux et amers du concept tels que la langue les recèle.
C’est que le mot latin rassemble à la fois, pas hostis, le sens d’étranger en tant qu’hôte, disons : l’invité (mais hôte en français est à la fois hôte l’accueillant, et hôte l’accueilli, et cela fait entrer toute la différence et le différend) et hostis l’étranger-ennemi public, l’ennemi du pays. Oui, il en est ainsi l’étranger signifie dans la langue : l’ennemi. Ost, en vieux français, est l’armée des ennemis. Voilà notre hôte hostilisé, notre invité, supposé bienvenu, suspect et malvenu.
A hostis s’ajoute, se mêle, se substitue hospes, celui qui reçoit et celui qui est reçu. D’emblée l’étranger, l’hôte, l’ennemi ont bien du mal à se distinguer.
Pour Kant, l’hospitalité doit être universelle, tout ce qui est homme, humain, a droit à cette hospitalité. Donc tout étranger humain.
Mais le non-humain, l’animal par exemple, est exclu. Soit. Pas de chat chez moi alors ?
Et les dieux ?
La question se pose à travers la religion ; aujourd’hui, la question du droit d’asile et de l’accueil du réfugié ou immigré s’alourdit de l’accueil du dieu. En effet, l’étranger arrive avec sa langue, sa famille peut-être, et son dieu presque toujours. Comme on le sait, cela ne va pas de soi. Cela ranime même les communautarismes et les intégrismes.
C’est ainsi que l’hospitalité universelle humaine kantienne amène à penser les difficultés politiques et ethniques de l’hospitalité concrète, actuelle.
L’hospitalité inconditionnelle voudrait accueillir sans limites, sans condition aucune ni dans le temps, ni dans le nombre, ni dans la définition. C’est le rêve. En réalité elle n’existe ni plus ni moins que la justice brillant, idéale et absolue, au-dessus du droit. L’hospitalité en réalité, et tous nous le vivons ainsi, est toujours et immédiatement conditionnelle.
Mais, comme Jacques Derrida y insistait en dépistant l’hostipitalité, on a besoin des deux hospitalités, l’inconditionnelle et la conditionnelle. Elles sont indissociables, elles s’inspirent et se retiennent l’une l’autre. A l’hospitalité conditionnelle, l’hospitalité inconditionnelle demande de tendre à toujours plus de générosité. L’hospitalité conditionnelle, elle, ménage et ce n’est pas un mal : si l’on ne donnait pas des limites, si l’on ne formulait pas les droits, l’amour idéal basculerait un jour dans l’exaspération haineuse et le rejet.
L’hospitalité doit, on le voudrait idéalement, tendre à se porter au-delà, un peu au-delà du raisonnable, du tempéré. On voudrait qu’elle brille sans fulgurance et sans calcul. Ce serait une forme de sainteté qui s’ignore, on offrirait le toit, le toi, sans appétit, avec sérénité, sans vouloir s’enorgueillir et se nourrir de sa propre bonté, sans satisfaire sa propre demande d’amitié ou de reconnaissance. Cela se ferait " naturellement ", en se situant d’emblée au-delà des intérêts du moi.
Comme une évidence. Etre hospitalier à l’être humain, comme on l’est au chat dont on n’attend pas qu’il rende le bien ou dise merci. Dans une pureté neutre.
Il y a des gens qui en sont capables.
Les Etats, par définition, non. Aujourd’hui en Europe, hospitalité, étranger, droit d’asile, immigration sont en question. Tout ayant changé, les liens de solidarité comme les causes de la haine.
Dans cet aujourd’hui, le Théâtre, comme la Philosophie, cherche à comprendre ce qui est arrivé à l’hospitalité qui venait de la Bible ou des Grecs, ce qui lui arrive, ce qui va lui arriver, ce qu’on peut vouloir élaborer dans de nouvelles attitudes éthiques et par de nouveaux dispositifs juridiques et politiques.
Mais on ne nous demande pas d’être hospitalier jusqu’à la mort. Seulement de ne pas vouloir refaire l’hôte à son image, mais plutôt de se refaire étranger comme chacun l’a été un jour ou un autre, afin de ne pas oublier que chacun a le droit d’être un autre.
(Extrait du programme du spectacle)
carlagrissini - 8. Jan, 09:35